Petits boulots

Du temps pour moi

Je prends l’apéritif dehors et l’envie de me poser dans le hamac me prend. Je le glisse même pas dans l’herbe, je me colle dedans, là. Comme je m’y prends comme un pied, le truc se retourne direct et je me retrouve scotcher au sol. Le flanc gauche sur le béton du préau. Que ça fait mal. J’ai dû me casser la figure d’à peine un mètre de haut… Je suis presque à pleurer tellement j’ai mal. Combien de côtes de cassées ? Je sais pas… Au moins dix minutes pour arriver à me relever. Oh ! Vache ! Que j’ai mal. Compliqué de respirer, encore plus compliqué de me bouger. Je marche tout doucement. Je vais me coucher. Je verrai demain.

La nuit pourrie que je passe ! Dix plombes pour aller pisser… Avec le temps que je mets à me lever et pour marcher, il faut que je prenne de l’avance, il faudrait pas que je me fasse dessus en plus. Dès que je bouge dans le lit, tout se complique, j’ai carrément mal !

Je me lève pour le café. Je marche encore plus doucement qu’hier, tellement peur du faux mouvement qui me ferait criser. Assise dans la cuisine, je bois mon petit crème quand ma tête se met à tourner, j’ai envie de vomir.

C’est décidé, Fêdo m’emmène aux urgences, cette fois-ci, j’y coupe pas.

Neuf heures, l’accueil… Carte vitale, carte mutuelle et je me retrouve en salle d’attente. Il y a personne, une chance, ça va aller vite. Au bout de cinq minutes une toubib m’appelle. Elle m’appelle avec un nom que j’ai, mais que j’utilise jamais. Je l’avais dit à la nana de l’accueil, elle m’a quand même enregistrée sous ce nom-là. Ah c’est compliqué de faire admettre que je garde mon nom à moi. J’ai fait refaire ma carte vitale dans ce sens-là, ma carte d’identité, enfin tout à mon vrai nom, et non, il faut qu’elle m’enregistre sous l’autre… Bref, la toubib m’appelle avec ce nom où je me reconnais à peine. En plus, elle le prononce mal.

Dans le petit bureau, je raconte ma chute du hamac. C’est plus comique qu’autre chose mon aventure, enfin… Elle me chiffre de partout, la température, la tension, le pouls… Elle me demande aussi de chiffrer ma douleur sur une échelle de zéro à dix. Mais, ça dépend des moments… Des fois c’est deux et des fois c’est vingt-six ! Alors je lui sors mollement un quatre-cinq.

Retour dans la salle d’attente et toujours personne. Ça va donc aller très vite. J’entends, venant de l’autre côté des portes interdites, un braillement. J’arrive pas à définir s’il s’agit d’un tout petit môme ou d’une chèvre !

Dans le quart d’heure, un mec vient me chercher pour commencer la série générale qu’on nous fait aux urgences. Il me demande d’enlever ma chemise, de m’allonger sur le brancard et ça démarre par un électrocardiogramme. Il me colle des petits capteurs partout, me vire mon sous-tif au passage pour en mettre encore. Il branche tout un tas de petits fils pour me relier à une machine qui va encore compter des trucs. Il me débranche.

– Je laisse les capteurs au cas où l’électrocardiogramme serait pas bon.

Mais pourquoi il serait pas bon le truc.

– Je vais les enlever quand même, je risque de les oublier sinon.

– Moi j’oublierai pas.

Comment je pourrai oublier ces stickers plein mon torse, ça gène à peine ! Il arrache tout son matériel.

– Le médecin va venir vous ausculter.

Me voilà à attendre sur le brancard et ça dure un moment. Je regarde le plafond, de toute façon j’ai tellement mal que je peux pas trop bouger. Je me caille un peu quand même.

Il doit être vers les dix heures quand une toubib apparait dans mon champ de vision. Belle blonde, beaux yeux, elle m’annonce son nom que je comprends pas. Et c’est la série de questions…

– Vous prenez un traitement ?

– Non.

– Vous êtes allergique à un médicament ?

– Non.

– Vous avez déjà fait des crises d’asthmes ?

– Non.

– D’épilepsie ?

– Non.

– Bon, je vais vous ausculter.

Elle me palpe partout, les côtes, le ventre…

Je lui indique là où j’ai mal, juste en dessous de la dernière flottante, dans le creux que ça fait. Elle appuie là et je grimpe au plafond.

Elle me parle de radio, d’échographie. Elle craint une fracture de la rate. Je savais même pas que la rate c’était par-là, en plus c’est pas un os la rate, comment ça peut se fracturer ?

– C’est un organe mou mais on dit une fracture de la rate lorsqu’il y a déchirure.

– Ah…

Plein sourire, elle me laisse dans la pièce sur le brancard. Le plafond devient mon seul interlocuteur. Je le regarde encore et encore. Le temps avance et je suis toujours à attendre qu’il se passe quelque chose. D’un coup, genre au bout d’une heure, la porte s’ouvre. Ça y est, c’est le moment de l’échographie. Ah non, juste on me change de place, ils ont besoin de la pièce pour une autre urgence. Je me retrouve dans le couloir. Trop glamour. Là, il y a du monde qui circule, des discours qui se créent. Ça m’occupe. Encore une heure dans ce couloir et on me déplace. Je gène à chaque fois qu’un mec passe en poussant un brancard, je fais obstacle. On me colle dans une chambre où il y a déjà deux nanas dans des lits. Je suis placée devant un placard. Chance, je suis pas dedans ! Et l’attente continue. Des infirmières viennent pour s’occuper des deux autres… Et moi ? J’entends encore les cris bizarres, ceux de la chèvre.

Encore une bonne heure d’attente et je craque. Je chope une infirmière qui passe.

– Vous en êtes où avec moi ?

– On attend les résultats de votre scanner.

– On m’a pas fait de scanner, je dois passer une radio et une échographie, que j’ai toujours pas passées d’ailleurs, alors on peut les attendre longtemps, les résultats.

– Ah bon ? Je me renseigne.

Elle part et revient avec l’info.

– Vous aller passer un scanner… On vous oublie pas, on va venir vous chercher.

On m’oublie pas, on m’oublie pas… Des plombes que je suis là et il s’est toujours rien passé !

Sur les coups de treize heures, un brancardier vient pour me conduire au scanner. Il me pousse beaucoup trop vite ! Depuis le temps que j’attends, il pouvait venir plus tôt et me descendre en douceur au scanner. Ben non, il carbure à toute blinde dans les couloirs. À chaque angle, j’ai peur d’arriver dans le mur. Il gare mon brancard dans une nouvelle salle d’attente où je plante bien une demi-heure encore.

Finalement, une autre toubib vient me chercher pour le scanner. Et encore les mêmes questions…

– Si, une crise d’urticaire j’en ai fait une, il y a quarante ans, suite à un pot-au-feu. Mais bon, non traité et pas sûr que ce soit à cause de ça, en fait j’en sais rien à cause de quoi c’était. Il y a tellement longtemps et j’en ai jamais refait depuis alors…

– Mais si, si, c’est très important, il faut toujours le dire ! Je vais vous faire le scanner sous injection, vous êtes pas allergique aux fruits de mer ?

– Pourquoi, vous aller me servir un plateau ?

– Non, je vous fais une injection d’iode.

– Je préfère les manger les huîtres…

– C’est pas tout à fait le même iode, mais quand même.

Elle me colle un élastique à me faire exploser la veine tellement elle le sert. Elle me pique.

– La veine a roulé, j’ai raté, l’aiguille est à côté.

Elle recommence, trifouille sous ma peau pour choper la veine. Ça y est, c’est planté au bon endroit.

Sa collègue arrive.

– Tu veux aller manger ?

– Je finis la dame, j’irai après. Merci.

Comment ça elle me finit, dans quel sens elle dit ça ? L’autre repart et elle, elle reste avec moi. Elle quitte la pièce le temps de l’examen qui se fait tout seul et c’est la machine qui me parle.

– Gonflez les poumons… Arrêtez de respirer.

Les secondes passent, la machine se promène autour moi. Il y a un truc qui tourne comme si j’étais dans une essoreuse à linge.

– Respirez normalement.

Je me dégonfle, je respire tout doux.

Elle revient.

– Je vais envoyer l’iode, ça va vous faire tout chaud à l’intérieur, vous allez avoir la sensation de vous faire pipi dessus.

Elle y va et vraiment, c’est tout chaud dans ma tête. Et puis ça me descend dans le corps, les jambes, et là, de fait, j’ai l’impression de me pisser dessus, c’est drôle ! Elle s’en va et la machine me parle à nouveau.

– Gonflez les poumons… Arrêtez de respirer.

Les secondes passent encore, la machine remonte jusqu’à mon cou et repart jusqu’à mon bas ventre, toujours avec le truc à l’intérieur qui tourne pleine balle.

Elle revient, me débranche tout son système à injection d’iode, pour me finir sans doute !

– Je vous avais mis une aiguille verte, c’est une grosse, à cause de votre crise d’urticaire, pour que ça passe bien. Je vous l’ai pas dit avant, vous auriez eu peur…

Une crise d’urticaire d’il y a quarante ans me vaut, aujourd’hui, une putain d’aiguille qu’elle arrivait même pas à caler dans ma veine ! Ça, c’est fait. Je me retrouve une fois de plus sur mon brancard et un mec vient me chercher. Celui-là me pilote correctement dans les couloirs, on finit pas en dérapage dans les virages. Arrivé à l’étage des urgences, il sait pas où me laisser, il y a plus de place, aucune petite pièce de libre. Beuh ! Et c’est le couloir où je gène tout le temps.

Et l’heure qui tourne. J’ai une pendule juste en face de moi, là, je peux me rendre compte. La trop belle toubib de ce matin passe.

– J’ai toujours pas vos résultats, j’envoie quelqu’un les chercher.

Je me promène un peu dans les couloirs et j’entends le cri tout bizarre qui sort par une porte ouverte. Je regarde et c’est une vieille, mais alors vieille de chez vieille, elle implore avec ce cri étrange de chèvre et quand elle me voit, elle me tend la main. Je veux pas y aller. Elle me fait peur. Un cri effrayant !

Trop envie d’un café, d’une clope. Je demande à une blouse blanche si je peux.

– Certainement pas, vous devez rien prendre tant qu’on a pas les résultats.

Et merde !

Et encore la chèvre…

La grande aiguille de la pendule fait un tour complet et toujours rien, personne me donne la moindre info. Et la toute belle réapparaît.

– Je vais appeler le radiologue pour vos résultats.

Une bourgeasse arrive. Elle s’est coupée avec une boite de conserve. Elle a pas l’habitude, sans doute, de ce genre d’emballage. Allez, trois points de suture. Elle aurait pu se coller des Stéri-Strip toute seule, ça fait pas mal et ça laisse moins de marques après.

Le début de l’après-midi et c’est l’arrivée des alcoolos.

Une vieille, complètement imbibée. Elle a rien mangé mais elle a beaucoup bu. Elle est connue dans l’hôpital. Ils la mettent sous perfusion. Elle veut téléphoner, boire de l’eau. L’infirmière lui dit que c’est de l’eau qu’elle va lui mettre dans les veines, qu’elle a pas besoin d’en boire.

– J’ai faim…

– Je vais vous donner des biscuits, un yaourt et un peu de pain.

– Tu as pas quelque chose de chaud !

Non mais je rêve, elle veut le plat du jour en plus !

– À cette heure, on en a plus.

– Je veux téléphoner.

Les flics attendent devant la porte ouverte de la pièce où ils ont collé la vieille. Ils disent encore plus de conneries que tous les alcoolos réunis de l’hôpital.

Je marche un peu dans le couloir et croise un mec sur un brancard, visiblement alcoolisé aussi.

– T’es là pour quoi toi ?

Je réponds même pas, je sens que si je lui parle, il va plus me lâcher. Je passe mon chemin quand je croise la toubib toute mignonne de ce matin.

– Je peux aller prendre un peu l’air ?

Elle m’adresse un grand sourire tout glamour.

– Oui bien sûr.

Je sors enfin. Le soleil tape. Je cherche Fêdo, une clope vite. Ah le voilà qui fait les cents pas sur le bitume. Enfin une cigarette. Je m’assois avec lui sur un banc de pierre, sous un arbre et je fume tranquille.

Ce petit break dehors me fait beaucoup de bien. Allez, j’y retourne ! Je retrouve mon brancard. On me déplace dans un angle, il y a plus de place nulle part. Quand on crèche dans le couloir des urgences en plein après-midi de week-end prolongé, il y a de l’animation. Les blouses blanches courent partout. La circulation des brancards. Je me les paye tous au moins une fois sur leur passage. Blang ! Et la grande aiguille de la pendule qui fait encore un tour. Ras le bol !

Un nouvel arrivant, bourré aussi, refuse qu’ils lui mettent une perfusion, il veut pas se faire piquer. Il vocifère, presque à vomir, il se fait remettre en place par l’infirmière.

Sur le brancard juste derrière moi, il y a un mec d’une bonne cinquantaine d’années qui gémit. Il parle dans une langue que je comprends pas, mais on dirait qu’il appelle sa mère comme un môme. Il pleure à moitié.

Ah, une femme en blanc se propose de m’emmener ailleurs. Elle me recale devant l’armoire de ce matin, dans la chambre où il y a les deux autres nanas.

Comme si on était pas assez nombreux dans la chambre, ils amènent un autre brancard avec une femme dessus. Obligé de pousser les tables à roulettes, fauteuils et autres, pour que ça rentre. Et de quatre !

Je suis toujours bien sage sur mon brancard quand la belle toubib déboule avec enfin, mon dossier dans les mains.

– Rien de perforé, juste des contusions et du paracétamol pour la douleur. Neuf heures-seize heures… Ah quand même !

Elle me sort ça avec son plus beau sourire. Tellement craquante que ça me fait presque oublier les sept heures d’attente pour du Doliprane… Enfin… Je peux m’échapper !

 …

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