Parfois, et même plus souvent que nous pourrions le croire, nous ne laissons voir que ce que nous voulons que les autres voient. À la réflexion, les moments de nos vies où nous ne montrons que ce que nous sommes sont rares. Nous endossons des tas de costumes : celui que nous enfilons pour le travail, l’habit de lumière qui nous va si bien lorsque nous sortons le soir au bras de notre amour, ou encore le bleu du bricoleur, la jupe de la courtisane, ou le pantalon droit du politique. Peut-être qu’il n’y a qu’au fond de notre baignoire, nu, allongé dans une eau transparente que nous pouvons enfin n’être que nous, naître tout simplement.
Agnès est assise dans le couloir du métro parisien, à la station gare de Lyon dans le couloir qui mène à la ligne 14. Elle a posé ses fesses à l’angle d’un magasin de vêtements. Les mannequins de la devanture sont revêtus de robes et de corsages chics, et elle, elle est comme une souillon à terre. Elle allonge les jambes. Elle a de vieilles godasses qui ressembleraient à des baskets si tant est que leur forme reste encore définissable. Sur ses jambes, des grandes chaussettes laissent à penser qu’elle a une jupe. Mais là aussi, la distinction jupe ou tablier n’est pas claire. Et puis, sur ses épaules étroites, elle a enfilé un gilet gris en grosse maille. Bref, on dirait un corps de poupée revêtu de bouts de tissus dans tous les sens juste pour recouvrir ce qui doit l’être. Ce qui est remarquable chez Agnès c’est son expression. Comme elle est coiffée en carré avec une frange extrêmement courte, son visage est très visible et éclairé par la lumière blanche des néons. La plupart du temps, elle regarde les passants avec agressivité et, pour peu que l’un d’eux la frôle en marchant, elle crache un « pssschhht » plein de postillons. L’importun qui l’ignore se réveille et brusquement fait un écart dans son parcours en s’excusant platement. Elle continue de le scruter méchamment, la bouche pincée, les yeux noirs de colère.
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