Lascives

Je papote avec Clémentine et je lui montre le sourire craquant de la belle Louise. Louise, je l’ai croisée dans un resto, il y a six mois peut-être et là, à la fin de la soirée, elle m’aborde au moment où je pars.

Trop fascinante à regarder déjà, je me demande pourquoi c’est moi qu’elle accroche ?

Parfaite séductrice comme elle sait l’être, la partie jouée serait pas forcément la bonne.

Comment résister ?

Et elle le sait…

.

 Vingt-et-une heures… Allez, je sors. Non ! D’abord je mange quelque chose pour tenir, éponger.

Je prends le métro, sept-huit stations et c’est la sienne. Je sors des tunnels, remonte sur les trottoirs et tourne à gauche. La nuit et le restaurant ! Je fais quoi ? C’est éclairé à l’intérieur, je la vois s’activer, des assiettes plein les mains. Je regarde un moment par la vitre. Déjà tard, et encore du monde. Le port des assiettes sales. Je fais le tour par la petite rue sur le côté. Je tire, ah non, je pousse la porte qui amène directement au bar sans traverser toute la salle. L’escalier en face de moi, me permet de rejoindre la cave du sous-sol, mais je reste au bar.

– C’est possible de juste prendre un verre ?

– Oui, qu’est-ce que je vous sers ?

– Un rosé s’il vous plaît.

L’employée me remplit un ballon. Je m’installe sur un tabouret haut, regarde les gens, mais surtout Louise qui court partout. Toujours aussi classe ! Même avec des assiettes sales plein les bras, elle arrive à être élégante. Sa démarche aérienne, ses sourires à droite à gauche. Et pour moi, un sourire ? Une voix dans la salle l’interpelle.

– L’addition s’il vous plait.

Et moi, je pourrais lui lâcher quoi comme mots ? J’y ai même pas pensé avant de venir… Elle passe tellement vite. Je suis tournée, elle me voit à peine. Elle me reconnait ?

– L’addition de la sept Corinne.

– Tout de suite Madame.

Je bois par petites gorgées, que mon verre me dure longtemps. Un type rougeaud sort des toilettes. Il se rapproche de moi avec des yeux globuleux et un sourire niais.

– Vous êtes toute seule ?

– Non, je suis deux.

– Hein ?

– Je suis avec moi-même !

Il a pas l’air de comprendre l’ambiguïté de ma réplique. Le regard hébété, il se détourne et ripe jusqu’à sa table à l’entrée de la salle.

Les coups d’œil de Louise croisent les miens, son sourire de pro. Elle s’apprête à tourner la tête, à continuer son chemin, quand elle revient le regard dans le mien. Là, son sourire est plus le même. Il est… Je sais pas, mais pas commercial en tout cas. Elle reste quelques secondes comme ça. Dans les couleurs claires de ses yeux je peux lire… Je peux lire les mots qu’elle me dit pas…

– On se connait, non ?

La barmaid disparaît. Louise vient et passe derrière le bar. Ses gestes rapides, à charger le panier du lave-vaisselle des verres sales qui traînent sur le zinc du comptoir.

– Où elle est ? Je peux pas tout faire ! Le service, ouvrir les vins, préparer les digestifs, démarrer la machine…

Un client passe sa commande en allant aux toilettes.

– Deux Calva, s’il vous plaît…

Louise attend trois secondes que le mec disparaisse dans l’escalier pour réagir. Elle se parle.

– Pff… Comme si c’était l’heure !

Et puis, un peu plus fort…

– Mais enfin, où est Corinne ?

– Dehors, elle téléphone.

Elle relève le nez vers moi. De quoi je me mêle ? Elle me sourit, puis d’un coup, détourne les yeux vers la salle. Là, elle affiche une expression particulièrement moche. La mâchoire inférieure avancée, la lèvre du bas qui repousse celle du haut, bouche fermée, la tête baissée, le regard sombre relevé dans ses sourcils froncés. Elle marmonne juste pour elle.

– Elle passe son temps au téléphone ce soir.

C’est juste pour me ravir en même temps ! L’autre au bigo et Louise derrière le bar, tout près de moi. Elle prépare elle-même les digestifs et les apporte. Au passage, elle chope deux assiettes dans l’entrée de la cuisine, pour une autre table. Un vrai courant d’air cette femme. Elle revient.

– Au lieu de fumer une cigarette dehors, ils feraient mieux de venir manger leur dessert.

Je la regarde s’affairer du coin de l’œil. Quelle énergie ! Elle repasse encore derrière le zinc. Le panier plein de verres, ses petits bras le porte et elle se courbe en avant pour le glisser dans la machine. Ça a l’air lourd. Sa position et son encolure flottante dans mes yeux ! La première fois que je la croise, c’était pareil. Son décolleté me laissait régulièrement apercevoir la naissance de ses seins.

Et elle repart encore, continuer son service. 

– Un marc de Banyuls et un vin de noix, s’il vous plaît !

Elle revient les préparer, la petite nana est toujours scotchée à son portable. Il se fait tard, ça va bientôt s’arrêter, bientôt fermer même peut-être. Petit à petit, les gens partent et la salle se vide. La fille du comptoir réapparaît, je lui demande un autre rosé avant que ce soit trop tard.

Elle me ressert dans le même ballon. Alors que la barmaid me tourne le dos, à pianoter sur la caisse enregistreuse, je prends mon verre et m’éclipse par l’escalier vers la cave. Complètement vide, j’ai le choix du canapé, je me pose. C’est très calme ici, je suis seule.

La cave rien que pour moi ! Mais pas pour longtemps… Déjà des pas descendent. Louise fait sans doute son petit tour avant la fermeture. Plus personne, plus rien sur les tables ? Ça annonce mon départ à moi, mais non, je veux pas partir ! Elle s’approche, avance un pouf et se pose en face, juste en face. Ses traits à peine fatigués. Comment elle fait ? Elle rejette une mèche de cheveux, croise les jambes, se penche en avant, pose les coudes sur les cuisses, les doigts des mains joints. J’ai encore sous les yeux, l’échancrure de sa robe qui me dévoile le haut de son corps. Elle arbore son plus beau sourire.

– Je vais bientôt fermer, Madame.

Pourquoi elle se cale sur un pouf pour me sortir ces mots-là ? Son sourire détend tout son visage. Elle veut vraiment que je parte en s’asseyant face à moi ? Une envie de voir davantage que son décolleté, m’envahit. Mais c’est pas possible ! Une boule grossit dans mon ventre. Je peux juste lui bafouiller trois mots.

– Oui, je me doute.

A mon regard dans ses yeux, au son de ma voix, son expression change. Elle me remet ? Elle hésite…

– Je vous connais, non ?

– En effet.

Des idées insensées traversent mon esprit. Je me demande… Sans sa robe, elle serait sûrement plus belle encore, non ?

Visiblement, elle cherche dans sa tête d’où elle me connait. Moi je sais, mais elle, elle voit tellement de monde dans son resto, qu’elle fait un gros effort. Je l’aide un peu ?

– Début octobre…

Si seulement, elle pouvait se souvenir de la délicatesse avec laquelle elle m’avait retenue ce soir-là !

– Octobre… Ah oui, c’est cela ! Reprenez-vous un verre ?

Ah, ça lui remonte en mémoire ! Ou elle fait semblant… En tout cas, c’est le moment que ce soit moi qui la retienne.

– Et vous ?

– Je reviens.

Dans un mouvement subtil, elle se lève, s’éloigne et remonte. Je bouge pas… J’entends des mots qui descendent jusqu’à moi.

– Corinne, vous avez fermé la porte de devant ?

– Oui Madame, tout est fait.

– Bon, vous pouvez y aller.

– Il y avait une dame au comptoir, elle est partie, je l’ai pas vue… Mais elle a pas payer ses deux rosés.

– Elle est… Ne vous inquiétez pas ! Merci Corinne.

Quelques bruits de fatras, puis le tour de clé dans la porte latérale, celle par laquelle je suis entrée. Je perçois le son des verres, de la bouteille. Elle redescend avec… Deux coupes !

– La bouteille est ouverte, profitons-en, demain elle sera éventée.

Quelle bonne idée elle a pour prolonger cet instant. Elle me remet sans doute un peu.

– Merci !

Cette fois, elle fait le tour de la table basse pour se pencher et poser les coupes. Dommage, je vois plus son décolleté qui baille devant moi. Par contre, pliée en deux comme elle est, et moi assise en contrebas, je vois la forme de ses fesses et sa robe qui lui remonte jusqu’à mi-cuisses. A force, j’aperçois son corps par petit bout. Des rêveries des plus glamours s’emparent de mon esprit. Elle, nue dans mes bras, à se laisser embrasser. Mais non ! Juste elle se pose, vêtue de sa robe, à côté de moi sur le canapé. On est tournée l’une vers l’autre. Elle a un coude posé sur le dossier et une main soutient sa tête. J’ai la jambe repliée sous l’autre. Je fais attention que ma chaussure touche pas les coussins. C’est trop propre ici. On se dit rien, juste des sourires.

– Mon ordinateur refusait de se connecter, c’est ça ? Vous êtes repartie à pieds…

Là, elle se souvient de cette soirée ! Mais moi aussi… Et j’ai la photo de son fond d’écran, une superbe photo d’elle, en noir et blanc, qui me remonte sous les paupières pendant que les bulles descendent dans mon ventre.

– L’air tiède m’a fait du bien.

Trop belle. Et son regard qui me sourit. Les verres vides, elle se lève.

– Vous me suivez ?

J’ai pas le choix j’imagine. Dans ma tête, ça carbure à vive allure.

– Jusqu’où ?

Elle se retourne brusquement et me fait face. Son sourire posé et le flegme dans son regard. Pourquoi je lui dis ça ? En même temps, mes mots ont pas l’air de la perturber outre mesure.

Faut remonter… Partir ? Je veux pas ! Son déplacement léger, charmant. Elle me laisse passer en premier pour franchir les marches. Courtoisie ou réflexe commercial ? Devant le bar, elle me prend la coupe des mains, passe derrière et sort la bouteille de champagne. Elle répartit ce qui reste.

– Juste assez pour trinquer.

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