Les villes sont des lieux où la vie se cache. Une balade dans ses rues permet de croiser tout ce que l’apparence nous donne à voir. Mais c’est dans les maisons que se jouent les vérités.
Dans la rue de la Victoire de cette grande mégapole, se situe un petit immeuble où des existences se croisent, apportant richesses et couleurs. Il a trois étages. Il est recouvert d’un crépi qui devait être rosé à l’origine mais qui, aujourd’hui, tire plutôt vers le gris. Il a encore, accroché de chaque côté de ses fenêtres, des volets ajourés. Il est probable qu’aucune réfection n’ait été faite depuis un sacré paquet d’années.
Dans l’ancien temps, c’est-à-dire il y a cinquante ans, il côtoyait d’autres petits immeubles à sa droite et à sa gauche. Mais l’évolution et l’urbanisation le placent maintenant entre deux mammouths de quinze étages. Comment a-t-il fait pour échapper à la destruction ? D’aucuns disent que le propriétaire est une drôle de tête de mule et qu’il n’a jamais cédé aux promoteurs. D’autres pensent que c’est pour conserver une certaine image du quartier. En tout cas, le bâtiment se pose là.
Et dans cet immeuble vivent quelques personnages.
Il y a Georges. Georges est un « Monsieur ». Il doit avoir autour de 60 ans. Il est un peu bedonnant et toujours les cheveux en bataille. Ça lui va bien. Ça correspond au bonhomme. Georges est un peu un « savant fou ». Dans son pays il était professeur de physique. Mais en Serbie les diplômes ne sont pas les mêmes qu’en France, ni les études d’ailleurs. Alors, quand il s’était réfugié dans cette ville afin d’éviter d’être assassiné dans son pays, il avait tout perdu.
Là-bas, il avait une situation sociale. Il était marié et avait deux beaux enfants. Il a tout laissé derrière lui. On va dire qu’il avait, comme il le dit lui-même, « des opinions divergentes de celles du gouvernement en place ». Personne ne saura vraiment ce que cela signifie. Mais à la grimace qu’il fait en énonçant cette phrase, chacun peut sentir la peur et la souffrance. Il n’a plus jamais donné signe de vie aux membres de sa famille, par crainte des représailles. Il était mort là-bas, civilement mort. Il a obtenu sans difficulté le statut de réfugié politique. Ça, il en est fier. Il n’est pas qu’un étranger, il est réfugié. Bien évidemment, il n’a pas eu l’occasion de reprendre son métier. Ici, il n’a ni savoirs, ni expérience du travail. Du coup, il accepte tous les types d’emplois, tout ce qu’il est capable de faire. Heureusement pour lui, il est doué de ses mains. Il fait quelques travaux de plomberie, de carrelage, de maçonnerie. Bref, tout ce qui relève du domaine du « bâtiment second œuvre ». Ses mains sont devenues calleuses. C’est comme ça qu’on le connaît dehors, comme un ouvrier fort et consciencieux.
Les occupants de l’immeuble, eux, en ont une autre vision.
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